TRIBUNE : La Ve République est morte

Rien n’est plus puissant qu’une idée dont le temps est venu. Et cette idée aujourd’hui, c’est la nécessité d’un changement de régime en France. C’est celle de bâtir, au travers d’un processus constituant, une nouvelle République, une République pleinement parlementaire, pleinement représentative, une République qui fasse enfin entrer la France dans les temps démocratiques modernes.

Car la Ve République est morte. Elle est morte le jeudi 16 mars 2023, à 16 heures 30, lorsque Emmanuel Macron a pris la décision de pervertir tout son esprit pour user de sa lettre contre le pays. Elle a été définitivement enterrée le 14 avril 2023, lorsque le Conseil constitutionnel a mis le dernier coup de pelle sur son cadavre froid en déclarant que oui, en vertu de notre Constitution, il en avait le droit, et que quiconque arriverait après lui serait donc habilité à faire de même.

Elle est morte car, alors qu’il y a soixante-deux ans, lors du putsch des généraux, elle s’était imposée avec la promesse de protéger l’intérêt général contre le chaos, elle produit aujourd’hui le chaos contre l’intérêt général. Elle est morte lorsque, tout ce qui la tenait encore péniblement debout, la promesse de stabilité, l’argument d’efficacité, la tenue à l’écart de l’extrême droite, tout s’est envolé en fumée et que, sur les cendres de ces mythes, rien d’autre ne peut naître que le désordre et la violence sociale.

Elle est morte parce qu’ayant perdu toute crédibilité quant à sa capacité à produire démocratiquement des lois justes, elle n’incarne plus aujourd’hui, pour les citoyennes et les citoyens, que le droit offert à un pouvoir minoritaire, seul contre tous, y compris contre son propre Parlement, d’aller contre le pays.

Le mépris et le dédain d’un pouvoir isolé

Pendant des décennies, les innombrables dysfonctionnements que la Ve République produisait – la verticalité du pouvoir, l’absurde centralisme, la culture politique de l’affrontement binaire, la bêtise collective de majorités absolues artificielles, l’absence de dialogue érigée au rang de vertu, le mépris des partenaires sociaux, le culte du chef, la mise au pas du Parlement –, tout cela affaiblissait la confiance dans le politique, dans les partis, dans les institutions. Mais l’origine constitutionnelle de notre culture politique défaillante peinait à apparaître pleinement.

Celles et ceux, qui pendant si longtemps ont fait campagne pour l’avènement d’une VIe République, ont dressé les contours de ce que serait une démocratie apaisée, véritablement parlementaire et représentative, respectueuse de la diversité de la France et dotée de contre-pouvoirs effectifs, le savent bien. Mais, aujourd’hui, les Françaises et les Français ont reçu de plein fouet la violence de la Ve.

Ils et elles l’ont vu naître sur le terreau de ses dérives, lorsque après les défilés pacifiques de millions de manifestants, le front uni de l’intersyndicale, le rejet massif de la population, les grèves, les mobilisations et l’absence même de majorité parlementaire, il n’y eut de réponse que le mépris et le dédain forcené d’un pouvoir isolé, obstiné à prendre, contre la volonté du pays entier, deux ans de repos aux plus précaires pour rembourser ses cadeaux aux plus riches et autorisé par le juge constitutionnel à le faire. 

Ils et elles ont compris qu’on ne pouvait plus prendre le risque de mettre notre avenir démocratique entier entre les mains d’un seul, de parier sur la sagesse d’un monarque élu et que, si l’équilibre des pouvoirs en France permettait d’écraser la volonté démocratique d’une nation entière, ce n’était plus là de l’équilibre, mais de l’aliénation.

L’unique plan crédible de sortie de crise

A l’heure où la crise sociale et la crise démocratique ne font qu’une, où le pire ou le meilleur peuvent advenir, le changement de régime est devenu l’unique plan crédible de sortie de crise. Car la France se trouve au bord d’un précipice vers lequel la Macronie l’a inlassablement poussée.

Sur le désespoir, la défiance et la rancœur qui grandissent prospèrent les ennemis de la démocratie, de l’égalité et de la liberté, assurés plus que jamais que, s’ils arrivent au pouvoir, ils auront les coudées franches. Si la Ve République a longtemps prétendu être un rempart contre l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite, elle en est aujourd’hui le chemin le plus assuré et celui qui lui donnerait le plus dévastateur des leviers.

Il n’y a donc pas de meilleure garantie, contre l’arrivée au pouvoir du populisme, de l’autoritarisme et du nationalisme en France et donc contre la déliquescence du projet européen, que l’émergence d’une nouvelle République française. Car dans une société plurielle, qui ne souhaite en réalité donner à aucune force politique la majorité absolue, qui souhaite que l’on ait la décence de l’intelligence collective, que les responsables politiques construisent en responsabilité les réponses justes aux défis majeurs du siècle, la crise climatique, l’effondrement de la biodiversité, le retour de la guerre, l’explosion des inégalités, l’avènement d’un véritable régime parlementaire est notre plus grand, sinon notre seul, salut.

Une Constitution est l’expression de la volonté populaire et la formalisation du contrat social qu’une société politique se donne. La Constitution de la Ve République ne correspond manifestement plus à la France de 2023. Elle doit donc s’en donner une autre. Voilà pourquoi doit être organisé un processus constituant, pour donner à la France une nouvelle République, pour bâtir une démocratie française à la hauteur de ses propres aspirations pour le XXIe siècle. Une démocratie parlementaire, moderne, représentative, sociale, décentralisée, apaisée.

Mélanie Vogel
Sénatrice représentant les Français établis hors de France, membre d’Europe Écologie-Les Verts, coprésidente du Parti vert européen

Tribune publiée le 24 avril 2023 dans « Le Monde »