Elections européennes, en campagne en Allemagne avec les Grünen Allemand

Vous l’avez sans doute vue ces derniers jours sur les affiches électorales : Terry Reintke est une députée européenne expérimentée qui est à la fois la cheffe de file de la liste verte en Allemagne mais aussi la cheffe de file du parti des Verts européen. 

En effet elle a été désignée au Congrès des Verts européens à Lyon le 3 février 2024 par les délégués de 38 pays, avec son collègue néerlandais Bas Eickhout en tant que « Spitzenkandidaten ». En cas de victoire elle sera la candidate des écologistes au poste de Présidente de la Commission Européenne, selon ce processus non écrit du « spitzenkandidat », qui consiste pour les partis à annoncer à l’avance leurs chefs de file ayant vocation à diriger l’Union européenne. 

Et avant que ne démarre la campagne électorale nous avons eu la chance de la rencontrer à Essen pour un entretien en petit comité avec des militants (le 17 février 2024).

Bonjour Terry, quels sont d’après toi les points les plus importants de la campagne des européennes pour la prochaine mandature ?

Tout d’abord la nécessité de la politique européenne : au lendemain de l’assassinat de l’opposant à Poutine, Navalny, prisonnier politique dans des conditions de détention inhumaines, on comprend une fois de plus à quel point c’est important de travailler tous ensemble en Europe.

En 2019 grâce à un nombre d’élus écologistes plus important au PE le « green deal », pacte vert, a été possible. De plus le mouvement pour le climat a fait bouger les choses. De 2014 à 2019 il n’y a eu aucune politique en faveur de l’environnement. En 2019 grand réveil, y compris chez les conservateurs qui ont voté pour l’état d’urgence climatique. Ursula von der Leyen a très bien compris l’enjeu de cette époque mais malheureusement sous l’influence de Manfred Weber, membre de la CSU et président  du groupe PPE au PE, ce consensus s’effrite car il attaque frontalement et désormais moins de décisions sont prises en faveur de la protection de notre environnement, des moratoires sont exigés alors que c’est tout le contraire qu’il faut faire comme l’a montré la déclaration de guerre de Poutine, notre dépendance vis-à-vis des énergies fossiles est une catastrophe et Nordstream a été une grande erreur. Le « green deal » était très important mais avec l’appui des extrêmes droites les conservateurs arrivent désormais à bloquer les initiatives.

Ursula Von der Leyen pourra-t-elle s’affirmer vis-à-vis de cette tendance ? 

Rien n’est moins sûr !

Le droit de veto devra être revu. Orban profite à chaque discussion de son droit de veto pour bloquer et réclamer des compensations pour son vote. Cela doit cesser pour que le droit international puisse être appliqué. 

Autre point crucial : l’UE a pris ces 30 dernières années malheureusement un grand retard en matière de politique sociale mais il a été possible de faire voter le salaire minimum européen, alors qu’en 2014 on disait que ce ne serait jamais possible !

Les écologistes européens s’engagent pour plus de justice sociale car les inégalités entre riches et pauvres déjà inacceptables par le passé, augmentent inexorablement et représentent un des plus grands dangers de notre époque, tant la frustration est grande et les attentes vis-à-vis de l’Europe sont justifiées. Il faut de meilleures lois pour l’Europe et surtout pas de politique d’austérité: si nous n’y parvenons pas, ce seront Moscou et Pékin qui décideront de notre avenir.

En effet les extrêmes à droite, dont le positionnement politique vis-à-vis de ces pays est très inquiétant, profitent de la situation et distillent la peur, mais le mouvement qui se lève parmi les citoyens ici en Allemagne nous donne la force et l’espoir que beaucoup feront barrage à ces idées mortifères. Au PE nous avons déjà 2 fractions d’extrême droite. Les partis pro-européens ont fait un cordon sanitaire pour empêcher ces fractions de dicter leur loi mais il faut continuer, bien que certains pays aient maintenant des gouvernements avec des partis d’extrême droite comme l’Italie, la Slovaquie ou la Suède.

Nous avons vu l’effet néfaste de ces fractions d’extrême droite sur la loi de restauration de la nature ou elles ont réussi à affaiblir la loi et l’ont privée de son efficacité. 

Et en plus au PE c’est encore plus difficile de travailler de façon constructive car on a des représentants de 25 pays, plus 4 régions et un grand éventail de partis différents… mais regardons l’exemple de la Pologne ou des millions de citoyens sont allés dans la rue encore et encore, ils ont pu obtenir le changement de gouvernement de l’automne dernier. Ne laissons pas la rue aux extrêmes droites. 

Heureusement que nous, les Verts, sommes un parti européen qui peut quasiment toujours aller dans le même et bon sens !!

Oui, nous devons parvenir à montrer qu’il y a des alternatives positives pour nos pays, par exemple les énergies alternatives qui sont les moins chères et les plus sures, voyez ici à Duisburg, on va produire de l’acier « vert » et on peut en être fiers. 

Comment vois-tu l’évolution de la politique européenne de l’immigration ? 

Les décisions sur la politique d’immigration de l’UE ne sont pas encore prises, elles le seront en aout. Nous sommes inquiets car les mesures envisagées risquent d’aggraver la situation aux frontières de l’UE. Les défis que cela nous pose risquent de ne pas être résolus par ce paquet de mesures. Croyez-vous qu’il y aura moins de morts en mer méditerranée avec ce paquet de mesures ? Ce sont de fausses solutions. Et on ne s’en rendra compte que dans 4 ou 5 ans et en attendant, les pays qui sont touchés directement par ce problème n’ont pas de solution.

Notre société est très perturbée, les extrêmes et leurs slogans tels que  « retourner en arrière », « les femmes au foyer », « relancer la natalité», « dehors ceux qui sont différents »… et autres bêtises du même genre apportent leur lot de doutes. Mais sans immigration nos pays ne pourront pas conserver leurs standards que ce soit dans la santé, l’industrie, l’agriculture, … la main d’œuvre que représente l’immigration est absolument nécessaire.

Comment renforcer la solidarité et mieux repartir les flux migratoires ? 

Un quota de répartition est prévu mais on ignore évidemment à ce jour quelle sera la quantité, le nombre de personnes à répartir. Si Poutine continue à attaquer, il y aura encore plus de réfugié.e.s. Il faut une forme de flexibilité en fonction du nombre et en fonction du PIB des pays. On voit que des communes sont dépassées par les défis que représentent le financement, les logements, les cours d’intégration, etc… si on n’y met pas bon ordre. On pourrait le faire mais malheureusement le débat reste toxique. Il faudrait aussi combattre les causes des flux migratoires et créer une mission européenne de secours en méditerranée au lieu de criminaliser les associations et les privés qui tentent de sauver ces vies. En Europe on se bat officiellement pour les droits de la personne et on crache sur les droits des humains à nos frontières extérieures sans qu’il y ait de réaction. Des poursuites devront être engagées contre les push back et le non-respect du droit d’asile.

Et la politique agricole qui a été un grand sujet ces dernières semaines? 

Les agriculteurs sont en colère, évidemment, depuis des années le nombre d’exploitations se réduit, « wachse oder weiche », «agrandis-toi ou abandonne », la politique agricole de l’UE, la PAC a imprimé cette tendance car les subventions sont distribuées à l’hectare et ce sont les plus grosses exploitations qui ramassent la mise alors que les petites s’endettent. Il faut reformer cette PAC de toute urgence. Rappelons que les Verts ont toujours voté contre, ils voyaient bien la catastrophe qui arriverait et maintenant on veut leur donner la responsabilité de cet état de fait ! On marche sur la tête !

Où trouves-tu la force de ton engagement alors que les verts sont attaqués de manière ignoble par des foules manipulées comme on l’a vu en Bavière récemment lors du mercredi des cendres ou par des hommes politiques qui ne mesurent même plus leur vocabulaire qui devient digne de celui des nazis quand il n’y est pas directement emprunté? 

La campagne sera dure, elle est déjà en train de se durcir et nous vivons des moments qu’on n’a jamais vécus. Mais devons-nous nous retirer parce que ce serait trop dur ? Wolf Biermann disait « werde nicht hart in harten Zeiten », c’est-à-dire  ne deviens pas dur quand les temps sont durs ! Il faut faire la différence entre vraies et fausses manifestations et manifester sa présence sur le terrain en nombre. Ce sera difficile pour les militants sur les stands, dans la rue, il faudra vous y préparer et vous soutenir, mais quand on voit les images des manifestants contre l’extrême-droite, pour la démocratie ou celles des jeunes générations pour le climat, on y puise de la force et du courage et le nombre de ceux et celles qui nous rejoignent n’a jamais été aussi haut. Gardons confiance et agissons.