Rencontre, au Chili, avec le Dr. Michel Prieur, président fondateur du Centre international de droit comparé de l’environnement (CIDCE)
En avril dernier, lors de la Journée de la Terre, j’ai eu la chance de rencontrer Michel Prieur, professeur agrégé de droit, spécialiste en droit de l’environnement et président fondateur du Centre international de droit comparé de l’environnement. Il était alors en séjour à Santiago pour la 3° conférence des Parties de l’accord régional d’Escazú.
Catherine Blanche : Bonjour Michel, en quelques mots peux-tu te présenter et nous dire pour quelle raison tu as été présent au Chili ?
Michel Prieur : Je suis professeur agrégé de droit, spécialiste de droit de l’environnement que j’ai enseigné à Strasbourg puis à Limoges pendant 35 ans. A la retraite depuis 20 ans je m’occupe d’une ONG internationale dont je suis le fondateur et le président : le Centre international de droit comparé de l’environnement (CIDCE) (voir www.cidce.org). Il s’agit d’un réseau de juristes du monde entier composé d’experts en droit de l’environnement dans leur pays. Cette ONG est la seule en France à être spécialisée en droit de l’environnement et à bénéficier du statut consultatif spécial auprès des Nations Unies à New York et auprès du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) à Nairobi (Kenya). A ce titre nous sommes habilités à envoyer des rapports, avis et opinions, ainsi qu’à participer aux rencontres internationales sur l’environnement telles que les conférences de Rio en 1992 et 2012 sur l’environnement et le développement durable. Nous pouvons également participer aux conférences des Parties (COP) des grandes conventions universelles sur l’environnement (diversité biologique, climat, zones humides…) ainsi qu’aux réunions des conventions régionales telles que la convention d’Escazú. Notre rôle est de représenter la société civile dans ces réunions qui ne sont composées que des Etats représentés par leur gouvernement et/ou leurs ministres de l’environnement. Nous formulons des opinions ou des propositions afin, à la fois d’informer les autres ONG qui ne sont pas des juristes, et d’influencer les États. C’est un travail complexe et ingrat qui traduit cependant les progrès de la diplomatie internationale environnementale. Celle-ci exige depuis Rio 1992 que les groupes représentatifs de la société civile aient la parole et puissent participer à l’élaboration des décisions internationales.
Catherine Blanche : Quels sont les objectifs principaux de l'accord d'Escazú ?
Michel Prieur : La convention d'Escazú , appelée « accord régional » a été signée en 2018. Elle regroupe 24 États signataires dont seulement 16 l’ont ratifié à ce jour, c'est-à-dire pour les quels elle est juridiquement obligatoire, sur un total de 33 États en Amérique latine et dans les Caraïbes. Elle s’appelle « Escazú » car elle a été approuvée par les États dans la ville d'Escazú qui est une banlieue de la capitale du Costa Rica. Elle doit regrouper tous les États d’Amérique latine et des Caraïbes. Elle a pour objet le droit à l’information, à la participation du public aux prises de décisions et l’accès à la justice en matière d’environnement. C’est la déclinaison juridique régionale dans un traité obligatoire du principe 10 de la déclaration de Rio de 1992 qui en elle-même n’est pas juridiquement contraignante. C’est donc un progrès du droit international avec force obligatoire. Il existait déjà un traité ayant le même objet au niveau européen qui avait été approuvé à Aarhus (aux Pays-Bas) en 1998. Les États d’Amérique du sud auraient pu adhérer à la convention d’Aarhus, mais en 2012 ils ont préféré avoir leur propre traité. Ayant le même objet, ces deux traités (Aarhus et Escazú) ont un contenu très voisin. Escazú a copié Aarhus en y ajoutant des progrès du droit international intervenus entre 1998 et 2018. De plus, ces deux conventions ont été élaborées et sont aujourd’hui gérées par l’ONU. En effet l’appui technique et le secrétariat de ces deux traités dépendent chacun d’un organe régional des Nations Unies créé en 1948. Aarhus est rattachée à la Commission économique pour l’Europe des Nations Unies dont le siège est à Genève (Suisse). Escazú est rattachée à la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes des Nations Unies (CEPALC) dont le siège est Santiago (Chili).
La grande innovation juridique et institutionnelle qui traduit la nouvelle volonté politique des États d’Amérique latine les plus mobilisés en faveur de l’environnement est que, pour la première fois de son histoire, la CEPALC à Santiago doit gérer une convention internationale. De plus, c'est la première convention régionale sur l’environnement en Amérique Latine, alors que l’Europe dispose d’environ une dizaine de conventions régionales et protocoles sur l’environnement indépendamment de l’Union européenne.
Pour une analyse comparée d’Aarhus et d'Escazú et des commentaires sur le contenu d'Escazú voir les ouvrages en espagnol auxquels le CIDCE a contribué[1]. Compte tenu de l’expérience du CIDCE à propos d’Aarhus, le CIDCE a participé aux réunions de négociations de l’accord d'Escazú entre 2015 et 2018 grâce à ses membres en Amérique Latine (en particulier les membres du Costa Rica, du Brésil, de la Colombie, du Mexique, de l’Argentine et du Chili). Il a pu influencer les rédacteurs du traité en faisant insérer pour la première fois dans un traité le principe de non régression selon lequel en matière d’environnement on ne doit pas faire marche arrière ou reculer, mais toujours plus et mieux protéger l’environnement. C’est donc en tant que partenaire de la CEPALC que le CIDCE a été présent à Santiago pour le COP 3 d'Escazú.
Catherine Blanche : Quels étaient les objectifs de cette conférence à laquelle tu as assisté ?
Michel Prieur : La 3° conférence des Parties de l’accord régional d'Escazú avait pour objectif de mettre en place les institutions et organes qui vont permettre l’application de l’accord. C’est ainsi que 6 résolutions ont été adoptées, notamment sur l’application nationale de la convention, le processus de désignation du point focal de la convention dans chaque État et la prise en compte du genre dans l’application de la convention. La résolution la plus importante est relative à l’adoption d’un plan d’action relatif à l’application d’un des articles les plus novateurs, notamment par rapport à ce qui existe dans la convention d’Aarhus, concernant les défenseurs des droits humains en matière d’environnement. C’est en effet en Amérique Latine qu’il y a le plus grand nombre d’assassinat de militants écologistes défendant leur environnement, notamment parmi les populations autochtones. Afin d’assurer le bon fonctionnement de la convention dont le secrétariat est confié à la CEPAL, un comité permanent des États est chargé du suivi de son application et de préparation de la prochaine COP en 2026. La président de ce comité représentant les Parties est un fonctionnaire du ministère de l’environnement de l’Uruguay. Il s’agit de Marcelo Coussilas, juriste de l’environnement, qui a présidé la COP 3 et a été renouvelé pour présider la COP 4.
Catherine Blanche : Quels ont été les grands thèmes de discussion durant cette COP ?
Michel Prieur : Le déroulement de la COP 3 a été marqué à son ouverture par le discours très remarqué du président de la république du Chili, Gabriel Boric. Tous les États n’ont pas été représentés. On a noté la présence lors de l’ouverture parmi le public, d’une représentante de l’ambassade de France au Chili. Le public était assez nombreux composé de représentants d’ONG venant de plusieurs pays d’Amérique Latine et des Caraïbes. Ils ont eu la parole à chaque fois qu’ils la demandaient. Les débats ont surtout porté sur les enjeux politiques et de droits humains concernant les défenseurs de l’environnement, ainsi que sur l’importance du genre dans la gestion de la convention, ainsi que sur le terrain pour la protection de l’environnement.
Un des organes subsidiaires le plus important mis en place par l’accord d'Escazú est le Comité de soutien à son application et à son respect. Ce comité de 7 membres, dont 4 femmes, a été élu par les États lors de la COP 2 en 2022. Ce sont des personnes indépendantes, provenant pour la plupart des ONG. Ils ont la lourde responsabilité d’examiner les communications adressées soit par les États, soit par des individus ou des ONG, qui protestent contre la violation des articles de l’accord. C’est un outil essentiel pour garantir le bon respect de la convention. Lors de leur 3° réunion à Santiago, ils ont approuvé leur règlement intérieur qui précise le déroulement des procédures à suivre. Le CIDCE a pu avoir la parole le 25 avril devant ce Comité. J’en ai profité pour inciter le Comité à inscrire dans son plan de travail la nécessité d’instituer des indicateurs juridiques pour pouvoir mieux suivre les progrès ou les régressions dans l’application de l’accord d’Escazú. Nous avons bon espoir, dans un futur proche, que notre appel pour des indicateurs juridiques comme nouvel outil d’effectivité, sera entendu. D’ailleurs, nous avons participé à un évènement, avec la participation en personne du président Uruguayen de la COP 3 afin de promouvoir ces indicateurs. Le CIDCE, avant la COP 3 avait déjà tenté de convaincre les États d'adopter une résolution pour mettre en place des indicateurs juridiques de suivi de la convention. Malheureusement, cela n’a une nouvelle fois pas été approuvé.
Catherine Blanche : Aujourd'hui, quels sont les défis auxquels sont confrontés les pays d'Amérique latine ?
Michel Prieur : L’avenir de l’accord d’Escazú reste encore incertain tant qu’un plus grand nombre d’États n’auront pas ratifié l’accord. Nous attendons encore la ratification du Brésil, de la Colombie et du Costa Rica. Ce dernier Etat, qui a donné son nom à l’accord et qui fut l’un de ses promoteurs les plus engagés lors des négociations diplomatiques, se heurte à une résistance des milieux économiques qui sont effrayés par les outils juridiques que l’accord met à la disposition des populations tant au niveau de l’obligation de participation aux décisions que des futurs recours aux tribunaux que craignent les entreprises. C’est aux politiques d’oser assumer concrètement leurs responsabilités à l’égard des populations, face aux urgences environnementales qui affectent la planète, tant en matière perte de biodiversité que de risques accrus de dérèglements climatiques. Escazú est l’outil juridique et politique qui doit permettre de faire face à ces enjeux tout en garantissant les droits humains et l’état de droit environnemental.
[1] M.Prieur, G.Sozzo y A. Napoli, dir. Acuerdo de Escazu, hacia la democracia ambiental en America Latina y el Caribe, Universidad nacional del Litoral, Argentina, 2020 ; M. Prieur y Jorge Atilio Franza, Acuerdo regional de escazu, enfoque internacio,nal , regional y nacional, Poder judicial de la ciudad de Buenos Aires, editorial Jusbaires, Bunos Aires, 2022 ; Lina Munoz Avila y al. Y M. Prieur, Comentario al Acuerdo de Escazu sobre derechos ambientales en America Latina y el Caribe, Konrad Adenauer Stiftung, Bogota, 2023 ; Gloria Amparo Rodriguez, El acuerdo de Escazu como instrumento para fortalecer la democracia ambiental en Colombia, Foro nacional ambiental, Friedrich Ebert Stiftung, Bogota, 2024 ; Carlos de Miguel y jeannette Sanchez, Medio ambiente y desarrollo sostenible :desafios contemporeanos para la CEPAL y America Latina y el Caribe, Revista de la CEPAL, n° 141, diciembre de 2023 ;