Au Chili, une avancée dans la lutte contre les violences faites aux femmes avec le vote d’une loi intégrale !

Le 6 mars dernier, le Chili a adopté une loi intégrale pour prévenir, sanctionner et éradiquer les violences faites aux femmes. Depuis 7 ans, de nombreuses femmes, ministres, ex-ministres, parlementaires et ONGs de défense des droits des femmes se sont battues pour que ce projet aboutisse et vienne renforcer et compléter la réglementation actuelle. Et le changement est radical puisqu'il n'y avait pas de loi globale qui incluait la violence de genre contre les femmes. En effet, jusqu’à maintenant, c’était la loi sur la violence intra-familiale qui réglementait les actes de violence physique, psychologique et autres qui causaient un préjudice à une personne au sein de la famille. Aucune loi ne couvrait spécifiquement la violence à l’égard des femmes. La nouvelle loi sur la protection intégrale se concentre donc spécifiquement sur l'éradication des violences faites aux femmes, en raison de leur genre. Une grande avancée !

Que dit cette loi ?

Tout d’abord, le texte donne une définition plus précise de la violence de genre : sera considérée comme telle « toute action ou omission causant la mort, des blessures ou souffrances à une femme en raison de son genre, sans distinction du lieu où elle se trouve, que ce soit dans l’espace public ou privé ; ou une menace ». La définition de la violence est étendue plus largement aux différentes formes que peut prendre celle-ci : violences physiques, psychologiques, sexuelles, économiques ou encore gynécologiques. Le but étant avant tout d’œuvrer pour prévenir ces violences avec la mise en place de programmes et protocoles.

De plus, la loi étend son champ d’application aux délits et agressions qui surviendraient en dehors des relations familiales ou affectives. Elle renforce également le rôle juridique du Service national de la femme et de l’égalité de genre, service public chilien, en garantissant aide et représentation juridique gratuite aux victimes.

Par ailleurs, le texte accorde une plus grande protection aux victimes avec l’obligation, tant pour les tribunaux aux affaires familiales que pour les tribunaux pénaux, de vérifier le respect des mesures de protection (ordres d’éloignement, entre autres). Les accords de réparation et les suspensions conditionnelles seront limités à certaines conditions, et pour certains actes de violence conjugale telle que la violence psychologique la peine et l’amende seront augmentées. 

La nouvelle loi considère désormais les enfants et adolescent·es comme victimes en reconnaissant également comme violence de genre toute violence exercée sur elles et eux dans le but d’atteindre leur mère ou tutrice. C’était une demande forte des associations et de la société civile.

Enfin, la loi établit l'obligation pour les établissements éducatifs d'éduquer les garçons et les filles en matière d'égalité entre femmes et hommes, et non seulement d'égalité formelle, mais aussi d'égalité matérielle et d'éradication des actes de violence contre les filles, les adolescentes et les femmes. Ce dernier point a été largement critiqué par un certain nombre de député·es d’opposition (conservateurs, partis de droite), qui ont d’ailleurs présenté un recours devant le Tribunal constitutionnel, considérant que cet article imposait des idéologies absolutistes et limitait le droit à la liberté d'enseignement dans les écoles et le droit préférentiel des parents d'éduquer leurs enfants comme ils le souhaitent. Ce recours a été rejeté. 

Le président de la République chilienne, Gabriel Boric (alliance de gauche), avait assuré, depuis son élection il y a 2 ans que cette loi contre les violences faites aux femmes était une priorité législative, c’est chose faite ! Et c’est une vraie victoire pour les femmes !

Quels autres instruments légaux pour lutter contre les violences envers les femmes ?

Dès 2009, l’État chilien met en place le Programme « Soutien aux victimes » dans le but de fournir une attention spécialisée aux victime de tentatives de féminicides et aux victimes indirectes (enfants), par le biais d’une prise en charge juridique, sociale et psychologique.

Fin 2022, est proclamée la loi Antonia de Protection des victimes de délits sexuels, grâce au combat de la famille d’une jeune femme qui s’était suicidée après avoir été violée. La société civile chilienne s’était emparée du sujet, avec notamment des manifestations lors du procès de l’agresseur. Son objectif ? Améliorer les garanties procédurales des victimes de crimes sexuels, protéger leurs droits et éviter leur revictimisation. La grande innovation de ce texte est l’introduction de la figure du suicide féminicide en sanctionnant la personne qui a amené la victime à se suicider en commettant sur elle des violences de genre. 

En 2023, c’est au tour de la loi de Protection et de réparation des victimes de féminicides, suicide féminicide et de leurs familles. Par ce texte, l’État offre notamment une pension aux enfants mineur·es dont la mère est décédée, et plus globalement une attention préférentielle aux familles des victimes.

Enfin, au sein de Centres des femmes, présents et actifs dans tout le pays, les victimes de violence sexiste et sexuelle peuvent être accueillies, orientées et accompagnées dans leurs démarches par un personnel pluridisciplinaire (psychologues, assistant.es sociales et sociaux, avocat.es, etc.)

Il reste du chemin à parcourir…

Malgré tous ces outils et malgré une lutte féministe historique au Chili, je pense entre autres au collectif Las Tesis dont la performance « Un violeur sur mon chemin » a été reprise dans le monde entier, malgré tout cela il reste bien du chemin à parcourir. Le Réseau Chilien contre les violences faites aux femmes (Red Chilena contre la Violencia hacia las Mujeres) comptabilise, depuis 2010, le nombre de féminicides au Chili. Selon l’organisme, déjà 15 femmes ont été tuées ou forcées à se suicider depuis le début de l’année 2024. Et les chiffres des années précédentes sont affligeants : le Secrétariat à la Prévention des délits a enregistré 101 féminicides ou suicides féminicides en 2023, et 335 tentatives de féminicides. Des chiffres qui donnent le vertige… 

Enfin, et pour appuyer la nécessité de cet outil législatif, notons que la Convention sur l’élimination des toutes formes de discrimination à l’égard des femmes demande depuis 2018 au Chili qu’une telle loi soit votée. Le constat des Nations Unies est sans appel : persistance de taux élevé de violences sexistes faites aux femmes dans le pays, que ce soit dans la vie privée comme dans l’espace public – en particulier à l’encontre des femmes migrantes, autochtones, LGBTQI+ ou en situation de handicap – et de violences sexuelles à l’égard des filles dans les établissements publics d’accueil des mineurs (équivalent de l’Aide sociale à l’enfance).

Espérons que cette loi sera accompagnée des ressources suffisantes à son application et qu’elle permettra de faire évoluer rapidement les mentalités, d'éradiquer la culture sexiste et patriarcale et de diminuer toutes les formes de violences exercées sur les femmes.