Le Chili bascule, une région bascule, et les Français·es du Chili aussi concerné·es
Pour les Françaises et les Français du Chili, ce résultat aura des effets très concrets sur la vie quotidienne : démarches administratives, climat sécuritaire, accès aux services publics, et stabilité sociale. Dans un moment politique aussi important, être informé·e, organisé·e et représenté·e devient essentiel. Cet article propose trois clés de lecture : comprendre le nouveau paysage chilien, replacer cette élection dans les dynamiques régionales, et saisir ce que cela implique pour notre communauté, notamment à l’approche des élections consulaires de mai 2026.
Le Chili au lendemain de la victoire de Kast : un tournant politique majeur
José Antonio Kast a remporté le second tour de l’élection présidentielle face à Jeannette Jara, ancienne ministre du Travail et candidate de la coalition Unidad para Chile. Porteuse d’un programme de gauche sociale axé sur les droits sociaux, la réforme des retraites, la réduction du temps de travail et l’égalité, Jara n’a pas réussi à élargir sa base électorale dans un paysage politique profondément polarisé.
Kast est, à l’inverse, l’une des figures les plus clivantes de la droite chilienne. Fils d’un immigré allemand ayant servi dans la Wehrmacht et issu d’une famille d’entrepreneurs du sud du pays, il a bâti sa trajectoire sur un positionnement d’extrême droite assumé. Juriste, ancien député et fondateur du Parti républicain, il défend un programme articulé autour de la dérégulation économique, de la réduction drastique du rôle de l’État, d’un durcissement massif des politiques migratoires et de la promotion des “valeurs traditionnelles”. Kast revendique également une lecture positive de la dictature militaire, déclarant notamment que « si Pinochet était vivant, il voterait pour [lui] », tout en minimisant les graves violations des droits humains commises sous le régime.
La victoire de Kast résulte de plusieurs dynamiques convergentes. La fatigue sociale accumulée durant le mandat de Gabriel Boric, marqué par l’échec des processus constituants, un climat économique fragile, des tensions persistantes dans le sud et une anxiété sécuritaire grandissante, a nourri un désir de rupture. Le rejet des partis traditionnels a également pesé, comme en témoigne le score élevé du candidat populiste et anti-système Franco Parisi (environ 20 % au premier tour), qui a ensuite appelé à voter nul. Parallèlement, Kast a su imposer la sécurité comme priorité nationale grâce à un écosystème médiatique conservateur très influent, qui a amplifié ses messages et installé l’idée d’une urgence sécuritaire, alors même que certains indicateurs montrent une réalité plus nuancée (les homicides ont diminué d’environ 6 % en 2024). Enfin, la candidature de Jara a été fragilisée par un clivage idéologique durable : issue du Parti communiste, elle s’est heurtée à un anticommunisme encore très présent, notamment parmi certain·es électeur·ices étranger·es, dont des Vénézuélien·nes peu enclins à soutenir une candidature associée à un régime qu’iels ont fui.Ce résultat marque un tournant radical pour le Chili. En élisant Kast, le pays choisit un projet politique plus autoritaire, fondé sur l’ordre, la discipline et un recul assumé de l’État social. Mais cette évolution dépasse le cadre national : elle s’inscrit dans un mouvement plus large qui, aujourd’hui, recompose en profondeur les équilibres politiques du continent.
Une victoire inscrite dans une dynamique régionale : l'Amérique latine face aux droites radicales
L’élection de José Antonio Kast ne peut être comprise isolément : elle s’inscrit dans un mouvement politique qui traverse aujourd’hui une grande partie de l’Amérique latine. Depuis plusieurs années, plusieurs pays voient émerger ou s’affirmer des forces conservatrices, autoritaires ou anti-système, souvent incarnées par des leaders promettant une rupture avec les élites traditionnelles et les institutions existantes.
En Argentine, l’arrivée au pouvoir de Javier Milei a institutionnalisé un libertarianisme radical fondé sur la confrontation permanente avec les institutions, les médias et les mouvements sociaux. Au Salvador, Nayib Bukele a concentré un niveau de pouvoir inédit, justifiant un état d’exception prolongé au nom de la lutte contre les gangs. En Équateur, Daniel Noboa gouverne dans un contexte de violence extrême liée au narcotrafic, avec une stratégie sécuritaire particulièrement offensive. Et au Brésil, le bolsonarisme reste un courant massif structurant la vie politique, malgré la défaite de Jair Bolsonaro.
Cette recomposition politique s’appuie aussi sur des circulations idéologiques transnationales dans lesquelles le trumpisme joue un rôle central. Plusieurs dirigeants latino-américains entretiennent des liens avec l’entourage de Donald Trump, partageant stratégies de communication, discours anti-élites, hostilité envers les médias critiques et vision conservatrice des valeurs sociales. Kast s’inscrit explicitement dans cet univers idéologique, dont il reprend les codes et les priorités.Sa victoire au Chili apparaît ainsi comme un nouvel épisode de cette vague continentale. Ce basculement s’observe déjà dans le climat politique, les droits civiques, la gouvernance institutionnelle et les politiques migratoires de plusieurs pays, autant d’évolutions qui auront, à leur tour, des répercussions concrètes pour les résident·es étranger·es et, en particulier, pour les Français·es vivant au Chili.
Français·es du Chili : ce que la victoire de Kast change concrètement, et pourquoi les élections consulaires seront décisives
Pour les Françaises et les Français installé·es au Chili, la victoire de José Antonio Kast n’est pas un simple changement de leadership : elle pourrait avoir des effets directs sur le quotidien, les démarches administratives et l’environnement social des expatrié·es. Les orientations annoncées du nouveau gouvernement, centrées sur la sécurité, la réduction du rôle de l’État, un contrôle migratoire renforcé et une vision conservatrice de la société, modifient le cadre dans lequel vivent et travaillent les résident·es étranger·es.
Un premier domaine d’impact concerne le climat sécuritaire et l’espace public. Le durcissement promis des politiques de maintien de l’ordre pourrait se traduire par une présence policière accrue, des contrôles plus fréquents et une surveillance renforcée. Pour les personnes étrangères, cela peut signifier davantage de vérifications administratives ou d’interactions avec les autorités, dans un contexte où les discours politiques établissent parfois un lien entre immigration et insécurité.Le domaine migratoire est probablement celui où les changements pourraient se ressentir le plus rapidement. Kast a défendu un contrôle strict des entrées et un resserrement des conditions de séjour. Sans préjuger des mesures exactes qui seront adoptées, il est plausible que les renouvellements de visas, les procédures pour les conjoint·es étranger·es, les demandes d’installation ou les démarches étudiantes deviennent plus exigeantes, plus coûteuses ou plus longues.
Les services publics pourraient également être concernés. En souhaitant renforcer le rôle du secteur privé dans la santé, l’éducation ou les retraites, le gouvernement Kast pourrait entraîner une hausse du coût des assurances santé, une pression accrue sur les établissements scolaires et une plus grande difficulté d’accès à certains services essentiels pour les familles françaises.La question environnementale constitue, elle aussi, un enjeu de premier plan. Kast défend un modèle fondé sur l’extraction accrue des ressources naturelles, la réduction des normes environnementales et la limitation de la participation des communautés locales. Une telle orientation augmenterait la dépendance du pays à son secteur extractif, ouvrirait la porte à de nouvelles tensions territoriales et rendrait le Chili plus vulnérable aux effets du changement climatique, dans une région déjà exposée aux sécheresses, inondations et incendies.
Enfin, l’élection d’un candidat attaché aux “valeurs traditionnelles” soulève des interrogations concernant les droits fondamentaux. Durant ses 16 années au Parlement, Kast a voté contre la pilule du lendemain, contre la dépénalisation de l’avortement, contre la loi sur l’identité de genre, contre l’union civile et contre l’interdiction du mariage des enfants. Dans ce contexte, des inquiétudes légitimes existent quant à l’évolution des droits des femmes et des personnes LGBTQI+, y compris pour les résident·es étranger·es.
Face à ces incertitudes, disposer d’une représentation française locale solide devient essentiel. Les conseillers et conseillères des Français·es de l’étranger jouent un rôle déterminant : ils et elles défendent les droits des expatrié·es, soutiennent les familles pour les bourses scolaires et les aides sociales, accompagnent les démarches administratives, alertent les autorités françaises en cas de crise et soutiennent les projets des associations œuvrant pour la communauté, tout en faisant remonter les besoins spécifiques des résident·es du Chili.Les élections consulaires de mai prochain seront donc un moment décisif. En s’inscrivant dès maintenant au registre des Français de l’étranger, en votant et, pour celles et ceux qui le souhaitent, en s’engageant sur les listes électorales, les Françaises et les Français du Chili peuvent peser sur la manière dont leur communauté sera protégée et représentée dans les années à venir. Dans une période d’incertitudes politiques, c’est un moyen concret de renforcer la solidarité locale, de défendre ses droits et de participer pleinement à la vie démocratique française à l’étranger.
Article co-écrit par Catherine Blanche, Conseillère des Français·es du Chili, et Thomas Aubineau.
Crédit photo : REUTERS - Rodrigo Garrido